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Les ResDur à la rescousse du vignoble

Par Loïc Le Métayer, mis à jour le 20/08/2024

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© C. Schneider - INRA
Un cépage hybride créé par l'INRAE : le floreal.

On entend de plus en plus parler des cépages hybrides, supposés plus robustes et plus tenaces face aux ennemis de la vigne. Parlons Crus est allé infiltrer l’INRAE pour comprendre comment ils ont été créés. À l’avenir, vous risquez de plus en plus de retrouver ces super-héros dans vos bouteilles.

Les impératifs de protection de l’environnement - et aussi un peu la pression du public, soyons francs – poussent de plus en plus de vignerons à limiter leur utilisation de produits phytosanitaires, surtout ceux d’origine chimique. Parmi les alternatives possibles, l’INRAE travaille depuis plus d’une vingtaine d’années sur de nouveaux cépages qui résistent bien à diverses maladies. Ces nouveaux venus sont des hybrides entre les vignes européennes et d’autres espèces américaines ou asiatiques, qui permettront potentiellement une baisse conséquente de l’utilisation de pesticides.

Pour comprendre où en étaient ces travaux, nous sommes allés récolter des infos auprès de trois chercheurs.
Éric Duchêne et Vincent Dumas travaillent tous deux à l’unité Santé de la vigne et qualité du vin de l’INRAE de Colmar, le premier en tant que directeur, le second en charge des évaluations et des dossiers d’autorisation des nouvelles variétés. Leur unité est à l’origine de la création des cépages résistants du programme ResDur (décrit plus bas).
Laurent Deliere travaille depuis 23 ans à l’INRAE, sur la protection du vignoble. Après des premières recherches sur les fongicides, il opère aujourd’hui sur la phase de tests des cépages résistants, soit l’étape qui suit leur création. Il anime aussi la filière vigne du réseau DEPHY, une action gouvernementale qui vise à tester puis déployer des solutions pour réduire l’utilisation de pesticides.

Créer, croiser, tester, valider… jusqu’à la mise en production, il y a tout un parcours assez complexe. Alors allons-y pas-à-pas.

Comment augmente-t-on la résistance d’un cépage à une maladie ?

La vigne européenne cultivée pour produire du vin, Vitis vinifera, est sensible à plusieurs types de maladies. Sur d’autres continents, certaines espèces de vigne sauvage (qui produisent du vin bien moins sympa) ont co-évolué avec ces maladies et s’en défendent mieux. On est donc allé farfouiller dans leurs chromosomes pour essayer d’y déceler ce qui leur permet de se battre plus efficacement contre virus, champignons ou insectes.
Pour deux maladies en particulier, le mildiou et l’oïdium, on a trouvé des régions du génome qui amènent une résistance forte. Ne reste plus qu’à intégrer ces gènes à Vitis vinifera.

Mildiou sur une feuille de vigne
© INRA
Oïdium sur grappe
© CC BY-SA 3.0

Alors les cépages résistants sont des OGM !

Non, les biologistes de l’INRAE n’ont pas joué au Lego avec l’ADN de la vigne dans un laboratoire mais ont simplement croisé les espèces. "C’est vraiment à l’ancienne : on dépose du pollen sur du pistil, puis on fait germer les pépins des baies de raisin", précise Laurent Deliere. On prend un individu Vitis muscadinia (une espèce américaine) qui se défend bien contre le mildiou et/ou l’oïdium et on l’accouple avec un plant de Vitis vinifera. Les enfants ainsi (pro)créés sont des hybrides, avec 50% d’ADN de chaque parent.
Parmi eux, on sélectionne ceux qui ont bien hérité des gènes de résistance. On les croise ensuite avec une autre variété de vinifera, c’est-à-dire un autre cépage, pour éviter la consanguinité*. Avec la troisième génération qu’on vient de créer, rebelotte : sélection + re-croisement. Puis on recommence.
Après 6 ou 7 répétitions, on obtient une vigne techniquement toujours hybride, mais très proche de la vigne européenne. Grâce à 96% de vinifera, elle pourra faire de bons vins et ses 4% de gènes de résistance issus de muscadinia la rendront plus forte contre les maladies. Cette étape de croisements successifs, s’appelle la phase d’introgression, et les cépages ainsi créés ont été nommés les "bouquets"**.

* Les plantes n’ont pas de sang… consèvinité ?
** Du nom d’Alain Bouquet, qui a réalisé un travail énorme sur la création de ces cépages.

Le jus de bouquet fermenté, bientôt dans nos verres ?

Un peu de patience, on n’a pas encore fini !
Pourquoi se contenter d’un type de résistance quand on peut en trouver d’autres, dans d’autres espèces ? De la même manière que pour Vitis muscadinia, on a créé des hybrides avec des gènes d’autres Vitis, américaines ou asiatiques.
Une fois une variété créée pour chaque gène intéressant, l’INRAE a croisé entre eux des bouquets sur plusieurs générations pour tenter de concentrer les résistances autant que possible. Cela s’appelle le pyramidage.
On a appelé les bébés cumulards les variétés "INRAE-ResDur" (RÉSistance DURable). Après 25 ans d’orgies viticoles et d’eugénismes systématiques, on se retrouve avec une grande fratrie d’une dizaine de nouveau-nés ResDur qui disent "m**de" au mildiou et à l’oïdium.
Ne reste plus qu’à trouver de jolis noms à toutes ces nouvelles variétés. Pour les ResDur : artaban, vidoc, floreal, sirano… Et les bouquets, de façon quasiment aussi inspirée : 3159-2-12-B, pinotin, 3176-21-11-N…

Une belle grappe d'artaban
© INRA

Pourquoi pas directement un chardonnay résistant ou un merlot résistant ?

Comme expliqué plus haut, lors des croisements successifs pour isoler un gène, on est obligé de prendre à chaque fois un cépage européen différent pour éviter la consanguinité. Les ResDur ne sont donc pas les descendants d’un seul cépage traditionnel, mais un gros mélange. On a essayé de les créer variés : rouge, noir, rose, sucré, acide, tardif, aromatique…
L’INRAE les met à disposition des différents vignobles français. Si une région veut quelque chose de semblable au chardonnay par exemple, on lui fournira un ResDur, et c’est reparti pour de longs croisements jusqu’à trouver dans la descendance des variétés similaires au chardonnay, résistantes, et surtout qui font du bon vin.

Une fois un ResDur avec les résistances souhaitées sélectionné, commence une première phase de tests où l’on plante quelques pieds de chaque rejeton chardonnay/ResDur : trois ans à attendre que le plant ne produise ses premiers fruits, puis trois ans de tests sur les raisins et leur vin.
On prend les meilleurs puis on en replante une centaine de pieds pour une dernière phase de tests, mais avec assez de raisins pour mieux tester la vinification. La gestation est longue ! Au total, il faut environ 15 ans pour créer le nouveau cépage.
Un appel au volontariat est ensuite lancé aux vignerons, qui pourront alors le planter (5% max des parcelles), l’utiliser au chai (10% max dans l’assemblage), et faire des retours d’expérience.

Chouette, finis les pesticides !

En partie, mais pas totalement.
Le mildiou et l’oïdium sont des champignons, les ResDur et leurs rejetons ont donc besoin de beaucoup moins de traitements fongicides : plus de 80% de réduction selon les dernières études de l’Observatoire des Cépages Résistants. Il faut tout de même traiter un minimum pour éviter que les champignons ne prolifèrent trop, sinon ils ont plus de chance de muter et de contourner la résistance.

Dans la dernière génération de ResDur, l’INRAE a réussi à introduire une résistance partielle au black-rot, un champignon lui-aussi. Mais pour d’autres maladies de la vigne, malheureusement, on n’a pas encore de solution du même genre. Des études sont déjà en cours sur le phylloxéra, qui attaque principalement les racines*, et sur le virus responsable du court-noué. En attendant, il faut continuer les traitements pour les afflictions autres que le mildiou et l’oïdium.

* Il y a apparemment un débat au sein de l’INRAE : concentrer toutes les résistances dans un même cépage pour permettre de se passer de la greffe de racines, ou créer des porte-greffes avec des résistances complémentaires à celles du greffon ? Éric Duchêne est pour la deuxième solution, plus simple selon-lui : "si ça ne tenait qu’à moi, je grefferais aussi des raisins d’un troisième plant ! *rires scientifiques*"
Les effets du black-rot sur une grappe
© S. Richart Cervera - INRA

Peut-on déjà goûter des vins à base de cépages résistants ?

Oui ! De manière générale, les cépages hybrides sont autorisés depuis longtemps. Certains vignerons en utilisent, comme Lionel Brenier que nous avons interviewé il y a quelques mois.
Les variétés INRAE-ResDur en particulier sont déjà présents dans plusieurs régions. En 2021, l’AOC Champagne est la première à avoir intégré un cépage résistant : le voltis en tant que variété "d’intérêt à fin d’adaptation", soit en période d’essai.
D’autres vignobles s’y mettent peu à peu, notamment le Bordelais, le Rhône et le Languedoc.

Publié le 20/01/2024

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