Qui l’eût cru ? c’est la chronique littéraire de Xavier, notre rédacteur accro aux jeux de mots. On l’imagine écrire des vers enflammés, un verre à la main, les yeux vers l’infini… Espérons-le plus ivre de mots qu’ivre de vins, quoique, le nectar est son inspiration. Rendez-vous le 19 de chaque mois pour vous délecter de ses élucubrations.
Tandis que novembre s’obstinait dans la tiédeur, se complaisant à injurier Verlaine et sa mélancolique Chanson d’automne, je redoutais un mois de décembre sec et un Noël sans neige. Je n’étais toutefois pas mécontent de pouvoir bouquiner sans m’engourdir les doigts alors que je venais d’entreprendre la lecture des œuvres complètes de George Sand, naviguant entre ses romans lyriques, socialistes ou champêtres, me plongeant enfin dans son autobiographie, Histoire de ma vie. Il y a dans le récit a posteriori d’une vie ce qu’une autofiction ou un journal intime, photographies d’un instant, ne pourront jamais capturer : la patine du sablier. Du reste, je ne suis pas loin de penser que le flou de la réminiscence charrie davantage de vérité que la précision de l’immédiateté.
Non sans recul, l’autrice célèbre s’attendrit notamment sur son enfance :
La raison et l'incrédulité viennent bien assez vite, et d'elles-mêmes ; je me rappelle fort bien la première année où le doute m'est venu, sur l'existence réelle du père Noël. J'avais cinq ou six ans, et il me sembla que ce devait être ma mère qui mettait le gâteau dans mon soulier. Aussi me parut-il moins beau et moins bon que les autres fois, et j'éprouvais une sorte de regret de ne pouvoir plus croire au petit homme à barbe blanche.
Le texte, sous sa douceur apparente, est empreint d’une amertume profonde, celle du temps qui passe et emporte avec lui les mystères, ces repères intangibles de l’enfance. L’âge progressant, on s’aperçoit que derrière la magie se cachent des mécanismes, derrière les étrennes la logistique, on découvre que derrière les paillettes s’active la chaîne Sephora. Vous me direz, c’était somme toute étrange d’imaginer le père Noël me livrer une console Nintendo et jouer à Mario. Toute vie d’adulte est-elle un apprentissage du désenchantement ? Une perpétuelle désillusion, un long renoncement ? Je prétends qu’il est une exception à cette règle cruelle : un breuvage qui vieillit en fût et que l’on bouche de liège. Le vin ! Qui l’eût cru ? Permettez-moi de vous fournir ces pièces à conviction qu’on appelle souvenirs.
Un matin de naguère, je fus tiré de mon sommeil grelottant par la sonnerie du téléphone. Mon condisciple avait la voix enjouée, comme si quelque chose de merveilleux s’était produit : "Regarde, s’empressait-il, regarde par la fenêtre, vieux. Regarde comme c’est beau. On ne sera pas morts idiots." Il bégayait d’un bonheur si intense que je me précipitai pour écarter mes rideaux. De la neige ! À Paris ! Une semaine avant Noël ! C’était l’une des dernières grandes années où une couche de poudre immaculée s’était déposée sur Paris, pareille à la crème d’une bûche recouvrant de gourmandise sa génoise. Je n’avais plus ressenti un tel enthousiasme pour la période des fêtes depuis que je ne croyais plus à la légende de l’antique barbu et de sa hotte remplie de cadeaux. J’étais comblé.
Bien entendu, nous nous dispensâmes d’aller en cours. L’événement était trop important pour que nous le manquions, c’était une occasion unique, le pinacle peut-être de ces moments qui, des décennies plus tard, tapissent la mémoire de leur velours ingénu : "À cause de cette cochonnerie de réchauffement climatique, c’est probablement la dernière fois", répétait mon ami avec une espèce d’urgence ou de frayeur, comme un gamin rivé sur la ficelle de son ballon de baudruche pour ne pas qu’il s’envole. Ou comme ce même gamin, la première année où il suspecte la supercherie du père Noël, mais s’y accroche désespérément, de peur qu’avec lui fonde son innocence et sa béatitude.
Il nous fallait donc voir – mieux : nous imprégner de tous les monuments de la capitale vêtus de leur manteau d’albâtre. Le Sacré-Cœur, Notre-Dame, le Louvre, les Invalides, la Tour Eiffel, aucun ne nous échapperait. Nous nous dépêchions car le passage des piétons et des voitures gommait petit à petit la blancheur pour laisser poindre le goudron. Et notre flânerie glacée nous conduisit naturellement aux Champs-Élysées. Le marché de Noël battait son plein entre les deux colonnes de décorations scintillantes qui carapataient jusqu’à l’Arc de Triomphe. Les chalets kitsch pullulaient et, assaillis par trop d’odeurs aussi réconfortantes qu’écœurantes, nous commandâmes une gaufre et un vin chaud.
Ah ! Le vin chaud en hiver, l’extase du chaud-froid, l’ensorcellement des épices, le maraboutage de la cannelle... Tout d’un coup, je fus comme projeté devant la cheminée, accroupi sur le parquet et les mains tendues vers l’âtre, jeune bambin également impatient de recevoir ses présents et de veiller en famille aux confins de minuit. Je ne saurais dire si c’était vraiment la perspective du traîneau lapon qui me ravissait ou tout simplement l’allégresse de mes proches, de mes oncles, mes tantes, mes cousins, réunis autour de ce qui me paraissait un somptueux repas. Quoi qu’il en soit, la soirée était toujours belle et je soupçonne que le vin chaud – ce jus de fruits qui ne seyait pas aux garçons sages selon mes parents – y était pour quelque chose.
Mon ami toussa soudainement, m’extirpant de mes songes, et déclara que la boisson était "immonde", mais que ça faisait du bien quand même : "Y a pas à dire, la vinasse, même quand c’est dégueulasse, c’est un don du Ciel. Je me pelais, et là je pourrais me balader torse-poil."
Novembre, donc, est de mauvais augure. Nos descendants connaîtront-ils seulement la félicité des bonshommes de neige ? Disposeront-ils une carotte en guise de nez sur le visage blafard du bibendum gelé ? L’horloge climatique, à l’instar de celle de nos existences, est une machine à déception, et les saisons de jadis, avec leur envoûtement et leurs énigmes, rejoindront la horde sinistre de nos souvenirs révolus. Par chance, si dans cet environnement détraqué nous ne devons plus jamais être témoins de la neige à Paris, si nous humains sommes les enfants terribles de la Terre – ceux qu’attend le Père Fouettard pour les punir vertement –, une chose néanmoins demeure certaine : le vin est un cadeau, celui de notre Mère Nature.
Joyeux Noël à tous.
Publié le 19/12/2022
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