Qui l’eût cru ? c’est la chronique littéraire de Xavier, notre rédacteur accro aux jeux de mots. On l’imagine écrire des vers enflammés, un verre à la main, les yeux vers l’infini… Espérons-le plus ivre de mots qu’ivre de vins, quoique, le nectar est son inspiration. Rendez-vous le 19 de chaque mois pour vous délecter de ses élucubrations.
Quand notre directrice Pauline m’a suggéré l’autre jour de lui écrire une chronique, croyez-moi, j’ai immédiatement pensé à Rimbaud. On est comme ça à Parlons Crus, on passe du vin à la poésie sans transition, du verre aux vers, du pinard à l’art – que dis-je ! – de la vinasse au Parnasse* sans plus de politesse. Exalté par sa proposition, je me suis mis à taper sur mon clavier compulsivement, griffonnant et raturant d’incertains traits d’esprit, me demandant si elle me jugerait assommant ou pédant. Je lui ai envoyé ma prose timidement, pénétré par la crainte d’être banni à jamais de la rédaction de notre beau média. Eh bien, je peux maintenant vous le confesser : c’est Loïc, notre rédac’ chef, qui m’a répondu ! "Tu sais, la patronne est occupée par les contrats, s’est-il excusé, et c’est mon rôle de commenter les contributions des pigistes." En fait de contrat, Loïc, débonnaire, a fini par m’avouer que Pauline m’avait trouvé saoulant. Ce qui, pour un compagnon de Bacchus, n’est ni plus ni moins qu’un compliment.
* La poésie, en référence au mont Parnasse qui était, dans l’Antiquité grecque, consacré au dieu des arts et de la poésie Apollon.
Rimbaud donc. J’avais été frappé jadis à la lecture du poème Comédie de la soif par les vers suivants :
“Nos vins secs avaient du cœur !
Au soleil sans imposture
Que faut-il à l’homme ? boire."
"Nos vins secs avaient du cœur !" Quel oxymore* saisissant pour l’étudiant que j’étais alors, déjà écartelé entre son allégeance à Apollon et sa vassalité à Dionysos ! La formule "Nos vins secs", on l’entend, va au-delà du sens premier d’un vin dont la teneur en sucre est faible. Derrière la soif, il y a le désir, et derrière le vin, ce qui abreuve ce désir. Mais comment expliquer ce mariage contre nature de la sécheresse et du cœur ?
Je me souviens que j’avais acheté le volume de la Pléiade à un bouquiniste quai de la Tournelle, me réjouissant de la bonne affaire – fauché que j’étais –, et me dépêchant d’aller dépenser ce que j’avais économisé grâce à ce livre d’occasion dans un rade de la rue Mouffetard. Délaissant pour une fois la bière, j’y avais picolé du vin avec un condisciple et nous avions devisé** toute la nuit, comme seuls les jeunes savent le faire. Égarés dans la jungle des cépages, nous avions goûté à tout avec le sentiment d’accéder à des vérités supérieures, persuadés que cette ribambelle de piquettes nous élevait au rang à nos yeux enviable de dandys : on ne buvait plus de houblon mousseux en happy hour, non ; on buvait du vin.
Le recueil avait campé sur notre table et sous mon paquet de clopes, jusqu’à la fermeture du bistrot. Une tache canaille sur la tranche témoigne encore de nos joyeuses agapes. Nous n’en avions d’ailleurs pas parlé, préférant débattre politique et amours contrariées, mais sa présence nous avait rassurés sur le fait qu’un jour, nous aussi nous serions poètes – par une redoutable ironie du sort, nous travaillons désormais dans la tech ! Je me dois de vous l’avouer : malgré la piètre qualité des breuvages et le manque d’acuité de nos pronostics, cette soirée est restée gravée dans ma mémoire. C’est un bon souvenir. Certes nous avions consommé du petit jaja de comptoir, ces chardonnays ou autres pinots noirs qui laisseraient un Aubert de Villaine* ou une Lalou Bize-Leroy** sur le carreau, certes nous avions fini à quatre pattes sur le trottoir, luttant contre une ivresse mal digérée, certes nous nous étions pris une claque de la mère-boisson, mais nous étions deux camarades rassemblés par le jus de raisin, deux potes unis par la vinasse. Nous étions bien. Sans le vin, la soirée aurait été banale ; sans notre amitié, le vin aurait été écœurant. Vous me suivez ? Les vins râpeux et notre franche cordialité avaient métamorphosé cette veillée dans un bar miteux en un bon souvenir. Nos vins, en dépit de leur sécheresse, avaient eu du cœur.
Et voilà peut-être la clef du mystère rimbaldien : il faut au poète boire, vivre avec passion car, quel que soit le matériau primitif de son existence, il en sera magnifié par sa sensibilité. Et si sa soif demeure inassouvie, insatiable, ce ne sera pas faute de l’avoir choyée, d’avoir vécu avec une fougue candide et sans imposture. J’ai bu de grands vins depuis, qu’il s’agisse de productions infimes ou de vieux millésimes, mais rares sont ceux qui ont imprimé au fronton de ma mémoire pareille épigraphe*. J’en ai découvert des cépages et des parcelles, j’en ai rencontré des vignerons, j’en ai consulté des cartes dans les restaurants, mais il m’a fallu une dégustation des cuvées de Claire Naudin** pour retrouver, dix ans après, cette même magie, ce précieux moment où le vin devient comme une encre indélébile sur les pages de notre autobiographie.
N’est-ce pas là, au fond, l’essence d’un bon vin ? Être la source de bons souvenirs ? S’installer confortablement dans les circonvolutions* douillettes de nos cerveaux à la manière dont on s’alanguit les charentaises en éventail devant un feu de cheminée ? Être un vecteur de partage, de fraternité ? Le trait d’union entre deux âmes-sœurs ? Et peu importe qu’il s’agisse de piquette ou d’un grand cru : le bon vin, c’est celui qui a le cœur sur la main.
Alors buvez en bonne compagnie, vous boirez bon, vous boirez bien !
Publié le 19/05/2022
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