Qui l’eût cru ? c’est la chronique littéraire de Xavier, notre rédacteur accro aux jeux de mots. On l’imagine écrire des vers enflammés, un verre à la main, les yeux vers l’infini… Espérons-le plus ivre de mots qu’ivre de vins, quoique, le nectar est son inspiration. Rendez-vous le 19 de chaque mois pour vous délecter de ses élucubrations.
Je ne doutais pas, avec ma première chronique, avoir signé mon testament de journaliste. J’imaginais bien sûr notre directrice Pauline s’arrachant les cheveux devant Google Analytics en constatant que mon article n’avait pas été lu une seule fois, déchirant le contrat qu’elle ne m’avait pas encore fait parapher ; je la voyais, me réclamant de lui rembourser ma part de la soirée de lancement (et Dieu sait si j’avais picolé ce soir-là...). Et puis, tandis qu’au comble du désespoir je cherchais le meilleur moyen d’en finir sans souffrance sur un forum glauque du darknet, une notification Teams bondit sur mon écran d’ordinateur tel un lapin dodu hors de son terrier douillet : Loïc, notre rédac’ chef, m’appelait. En homme d’équilibre, il m’expliqua qu’il avait aimé mon texte mais qu’il était très classique, que mon sujet était intéressant mais trop pointu ; bref qu’il fallait que je tempère mes ardeurs littéraires de références plus grand public. Et moi qui avais prévu d’écrire sur Proust ! J’étais perdu.
En quête de réconfort, je débouchai une bouteille de côtes-du-jura Mémé Marie de François Rousset-Martin, millésime 2018. En le versant contre le cristal étincelant de mon Degrenne*, une fragrance m’assaillit immédiatement, me sauta aux narines précipitamment et s’agrippa à mes poils nasaux pour ne plus les lâcher. Un arôme précis, ciselé, comme tiré au cordeau. Intrigué, je plongeai mon pif au creux du verre et, tout aussi subitement, je fus propulsé quelques années en arrière à l’intérieur d’un cinéma. Les lignes de fauteuils en mousse rouge s’étendaient sous mes yeux - j’étais au dernier rang. Le public était épars et Justin Timberlake, le crâne tondu, débitait des inepties avec une assurance toute hollywoodienne.
C’était un dimanche soir d’automne à Odéon, il pleuvait, j’avais fêté mon anniversaire une semaine plus tôt. La situation se dessina avec plus d’acuité encore : j’étais allé voir un long-métrage éminemment stupide avec un condisciple, et nous qui avions coutume de traîner nos basques dans les salles d’art et d’essai de la rue Champollion, avions cru nous encanailler en assistant à la projection de Time Out, un film de science-fiction où les personnages arboraient le compte à rebours de leur décès sur leur bras. Snobs que nous étions, nous avions commandé du pop-corn en pensant vivre une véritable expérience populaire. Du pop-corn ! Eh bien, c’était l’odeur qui, aujourd’hui, émanait de mon verre de vin.