Qui l’eût cru ? c’est la chronique littéraire de Xavier, notre rédacteur accro aux jeux de mots. On l’imagine écrire des vers enflammés, un verre à la main, les yeux vers l’infini… Espérons-le plus ivre de mots qu’ivre de vins, quoique, le nectar est son inspiration. Rendez-vous le 19 de chaque mois pour vous délecter de ses élucubrations.
C’était l’anniversaire de notre patronne Pauline l’autre jour et, tandis que je lui souhaitais cordialement mes meilleurs vœux, elle se tourna vivement dans ma direction, scruta le fond de mes prunelles et s’exclama, d’un ton comminatoire*, que, si je voulais lui faire un cadeau sincère, j’avais intérêt à lui livrer ma prochaine chronique fissa. Et elle s’éloigna, vitupérant contre ces pigistes qui se prenaient pour des artistes en mal d’inspiration au lieu de "torcher" leurs papiers promptement. La pression était, vous le comprendrez, considérable, d’autant que, malgré mes récriminations, je n’avais toujours pas vu l’ombre de mon contrat. Pourquoi cette deadline totalement imaginaire ? Pourquoi cet ultimatum asséchant ? J’allai me promener sur les quais de Seine, mais à part des cygnes, des canards et des sonos portatives troublant le calme du fleuve, je n’y dénichai nulle idée. En désespoir de cause, je me résolus à appeler Loïc. D’emblée, notre équilibriste de rédac’ chef me suggéra d’aborder un thème "moins intello" : "On n’est pas une revue littéraire. Rimbaud, Proust... Tu peux te permettre quelques références si c’est dans ton ADN, mais il faut que tu mettes de l’eau dans ton vin ! " Et, comme un diable jaillissant de sa boîte, le sujet de ma chronique s’imposa à moi : l’expression "mettre de l’eau dans son vin".
* Menaçant.
À l’instar de tout écrivain en herbe, je me précipitai sur Wikipedia pour chercher quelque chose à dire. Mettre de l’eau dans son vin, c’est à l’origine tempérer ses ardeurs, se modérer. Faire un compromis avec sa fougue. Il s’agirait d’ailleurs d’une locution médiévale, née au 15ème siècle, cette époque où il était encore commun pour rendre le vin moins capiteux de le diluer. Le vin étant, par la chaleur de son alcool, le symbole de la passion, et l’eau celui de la neutralité, la métaphore s’explique d’elle-même. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que Boileau y faisait du reste un recours fameux (Le Lutrin, chant V, 1683) :
Ce guerrier, dans l’Église aux querelles nourri,
Est robuste de corps, terrible de visage,
Et de l’eau dans son vin n’a jamais su l’usage.
"Boit l’eau". Un quasi-aptonyme* en quelque sorte. L’académicien n’était au passage pas réputé pour sa retenue et, ivre des Lettres, il avait le vin mauvais. Puis, avec les siècles, de l’eau a coulé sous les ponts, et la formule a progressivement changé de sens, pour se stabiliser autour de son acception actuelle : revoir ses prétentions à la baisse.